(Suite
du "savoir éclaté")
«Le Deuil est-il nécessaire ? L'institution l'affirme,
le proclame. C'est grâce à la méthode qui isole,
sépare, disjoint, réduit à l'unité, mesure,
que la science a découvert la cellule, la molécule,
l'atome, la particule, les galaxies, les quasars, les pulsars, la
gravitation, l'électro-magnétisme, le quantum d'énergie,
qu'elles a appris à interpréter les pierres, les sédiments,
les fossiles, les os, les écritures inconnues, y compris l'écriture
inscrite sur l'ADN. Pourtant les structures de ces savoirs sont dissociées
les unes des autres (...) L'homme s'émiette: il en reste ici
une main-à-l'outil, là une langue-qui-parle, ailleurs
un sexe éclaboussant un peu de cerveau. L'idée d'homme
est d'autant plus éliminable qu'elle est minable: l'homme des
sciences humaines est spectre supra-physique et supra-biologique.
Comme l'homme, le monde est disloqué entre les sciences, émietté
entre les disciplines, pulvérisé en informations.
Aujourd'hui,
nous ne pouvons échapper à la question: la nécessaire
décomposition analytique doit-elle se payer par la décomposition
des êtres et des choses dans une atomisation généralisée?
Le nécessaire isolement de l'objet doit-il se payer par la
disjonction et l'incommunicabilité entre ce qui est séparé?
La spécialisation fonctionnelle doit-elle se payer par une
parcellisation absurde? Est-il nécessaire que la connaissance
se disloque en mille savoirs ignares?»
(Edgar
MORIN : La Méthode Tome 1. Paris, Seuil, 1977, p.12-13)
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